Quand le déconfinement a commencé pour tout le monde, il n’en était pas encore question pour les personnes fragiles. Il nous aura fallu attendre ce début de mois de juin pour enfin accueillir Philippine de nouveau à la maison, pour un week-end sur deux seulement, en attendant mieux.
Au bout de six semaines de confinement, une autorisation de visite une heure par semaine avait quand même constitué un soulagement. Cela faisait quelques temps que Philippine pleurait en silence régulièrement, comme nous l’ont raconté ses accompagnatrices. Dès la première visite, les larmes ne sont plus revenues. Ce signe nous a fortement marqués. Quand on nous demande : « savez-vous si elle vous reconnaît ? », nous répondons : « nous croyons que oui ». Là, nous passons de la foi à la certitude. Nous avons manqué à Philippine. Elle a exprimé qu’elle a besoin de nous spécialement, que c’était triste pour elle de ne pas nous voir, que la vie en famille n’est pas la même chose pour elle que la vie à l’institut, et pourtant elle y reçoit aussi beaucoup plus que des soins.
Des évidences ? Sans doute. Cependant, bien souvent, nous faisons face, dans notre cœur mais aussi dans les actualités, au doute sur le « ressenti » des personnes pauci-relationnelles. Et bien, autant la peine de Philippine m’a bouleversée, autant ses larmes séchées ont été l’évidence qui n’était pas de trop pour dissiper puissamment ces relents de doute sournois. Je n’invente pas la relation avec Philippine pour me consoler ou pour me réfugier dans le déni.
Je ne me souviens pas d’avoir pleuré de joie dans ma vie avec autant d’intensité que quand nous l’avons retrouvée, Damien et moi, alors qu’elle arborait un sourire de satisfaction presqu’espiègle, beaucoup plus digne que mes effusions dans ce lieu public. Si la longue endurance d’une routine usante de 20 ans peut parfois me poser question sur la réalité de mon attachement, j’ai compris que mon amour n’était pas usé du tout. Et que tous les mots que je cherche depuis des années pour dire la belle personne que je perçois derrière les apparences sont bien plus que des mots, ils sont une réalité tangible. Celle de cette lumière de joie si belle que j’ai vu sur son visage quand elle a perçu notre présence après tout ce temps.
Damien a fait cette remarque : « Il y a une drôle de balance. La charge matérielle va se remettre à peser sur nous, mais le poids d’affection va reprendre aussi consistance pour elle et pour nous, et c’est bien. » Notre allègement pesait trop lourd.
Article publié dans la revue Ombres et Lumière https://www.och.fr/ombres-et-lumiere/
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