Pour la première fois en 20 ans, Philippine est confinée … dans son établissement. Pour la première fois, nous allons passer plus de 12 jours sans la voir. C’est dur, cette séparation. Et pourtant, nous avions le choix. Nous pouvions la garder complètement à la maison. Nous avons senti que nous n’avions pas la force d’assumer une telle charge, nuit et jour, alors qu’il faut assurer l’école à la maison, sans être sûrs de trouver de l’aide, et sans savoir combien de temps il faudra tenir. Et si nous tombions malades ? Certains parents n’ont pas le choix. Je frémis en pensant à ceux qui sont épuisés.
Nos héros à nous, ce sont ceux qui s’occupent de Philippine pendant la semaine, mais mon cœur se serre en imaginant qu’elle puisse se sentir coupée de nous. Comment lui faire savoir que nous ne l’abandonnons pas, quand son principal mode de relation est le toucher ? L’institut nous a proposé une rencontre par Skype. Au début, je ne voulais pas trop réfléchir à la raison qui faisait que je laissais cette proposition en suspens. Et puis, le personnel m’a relancée, un jour où je téléphonais pour avoir des nouvelles. Cela m’a obligée à mettre des mots sur ma résistance : « je préfère les photos que vous m’avez envoyées. Par Skype, Philippine ne nous verra pas, et nous entendra mal. Et nous, impuissants, gênés pour manifester notre proximité, nous verrons Philippine immobile, « déconnectée » de ce que nous essayons de vivre avec elle. Y penser me fait mal. Je préfère me contenter du téléphone, où elle « entend » ma voix directement dans son oreille et où j’entends sa respiration. » La dernière fois que je lui ai parlé, la personne qui était près d’elle m’a dit qu’elle s’est détendue, alors qu’elle était nerveuse.
Philippine n’est pas là, mais comme quand elle est là, nous ne pouvons pas aller où nous voulons, nous sommes limités, nous devons ralentir, simplifier notre vie. Quel étonnement de constater que la reine du confinement nous avait déjà habitués, éduqués à tout cela. Alors que chacun tombe des nues, se met à réfléchir à son mode de vie, que les philosophes se demandent si cette pandémie va changer quelque chose dans notre rapport au monde, nous nous sentons presque rejoints pour la première fois dans notre expérience habituelle. Notre rapport au monde, il a basculé dans une autre dimension, il y a 20 ans, quand est née dans notre famille, celle qui, confinée dans son corps, incarne, l’air de rien, LA question : « où courrez-vous ? »
Chronique parue dans la revue Ombres et Lumière avril 2020
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